Retour à la liste des articles
En 1775 la Hosh distillery devient Glenturret et obtient la licence pour fabriquer et vendre son whisky. Les années passent, un marchand de vins du nom de Matthew Gloag reprend l’affaire de son père et se lance dans l’assemblage de whisky de marque (house labelled blended whisky) qu’il baptise Grouse Brand en 1869. Gloag achète une grande partie de son whisky à Glenturret.
Philippa Gloag, sa fille, esquisse alors ce qui deviendra le symbole emblématique de la marque : un lagopède roux d’Ecosse, volatile de la famille des coqs de bruyère qui abonde sur les landes d’altitude d’Écosse et d’Irlande. Une sculpture monumentale de la Grouse est érigée dans la cour, son plumage métallique estampillé de traces de rouge à lèvres, provenant du côté un peu décalé de la com’ actuelle sur le produit. Un peu incongru dans ce lieu perdu dans le bocage.
La pagode typique pour l’aération et la dissipation des vapeurs éthyliques trône sur le toit. Quelques dizaines de fûts vides sont stockés au pied des bâtiments aux murs blancs. Un coup d’œil à l’exposition très didactique sur le processus de fabrication de whisky : le traditionnel trombinoscope de l’équipe de gros bras de la saison 1905-1906 en gilets casquettes et fortes moustaches, de belles illustrations de grouses sur fond blanc ; des tests de senteurs à l’aveugle, et des tests d’habileté démontrant la difficulté de maintenir une saveur, une identité, un goût de façon régulière et pérenne dans le temps sur toute une gamme de produits.
En pénétrant dans la distillerie, un bouquet de levure fermentée et d’alcool nous enveloppe. Charlie, en poste à l’accueil, nous présente notre guide : Rory, sympathique rouquin barbu aux yeux bleus et à l’accent extrêmement prononcé ; il a la tête du fêtard, du bon-vivant et doit se prendre de bonnes caisses. Visite privée, nous sommes les seuls visiteurs. Grosse rigolade à la vue de la pancarte placée à l’entrée des chais où roupillent 10500 fûts de whisky : « QUIET PLEASE, WHISKY SLEEPING ». La fabrication du whisky ne tolère pas les bruits excessifs !
On démarre par la salle où le malt, légèrement tourbé est broyé pour produire le grist. C’est ici que Rory nous relate l’histoire de Towser, la chatte de la distillerie qui a contribué à tenir les rongeurs à l’écart des céréales pendant 24 années consécutives en comptabilisant 28899 souris sur son tableau de chasse ! De quoi faire pâlir Tom de jalousie ! Towser a deux successeurs : Dylan et Brooke deux matous très câlins mais bien moins efficaces que leur prédécesseur…
Un artisan aux gros bras, armé d’une sorte de grande bêche de bois, touille le mélange de grist et d’eau du Loch Turret avant qu’il ne file vers les washbacks pour l’opération de fermentation. Spectacle rare, cette intervention est aujourd’hui entièrement mécanisée dans la plupart des distilleries.
Les washbacks de Glenturret : fabriquées en Douglas Vert (pin d’Amérique du nord très isolant) ces huit cuves de trois mètres de profondeur recueillent chacune 6300 litres de moût (wort) auquel sera ajoutée une levure spéciale à hauteur de 1%. La fermentation va durer 48 h et produire une sorte de bière de malt d’une teneur en alcool d’environ 8°.
Le wash est transféré dans un premier alambic : le wash still pour y être chauffé à 95°C, température soigneusement contrôlée pour laisser s’évaporer l’alcool seul, évitant ainsi d’atteindre le point d’ébullition de l’eau. Une fois le condenseur passé, les vapeurs d’alcool se liquéfient pour donner les low wines (bas-vins) qui affichent 25° d’alcool environ.
Dans le second alambic (le spirit still), une distillation à 85°C va produire le cœur de chauffe, l’eau de vie finale encore incolore, qui titre entre 70 à 75° d’alcool. Nous suivons Rory, le corps irradié par la chaleur rayonnante qui émane de ces gros alambics et le grondement généré par le processus de fabrication.
A chaque passage, l’alcool produit transite par le coffre ou Spirit Safe, bouclé par un cadenas et minutieusement contrôlé par l’État car c’est LA référence qui servira au calcul des taxes. Ce coffre sert également au personnel en charge de la distillation pour contrôler température et hygrométrie et séparer les queues de distillation ou feints, des têtes de distillation ou foreshots qui seront mélangées aux low wines et redistillées le jour suivant.
La visite s’achève par le Spirit Vat et sa grosse balance qui sert à peser les fûts avant remplissage et dilution du spirit à 64° d’alcool.
Deux types de fûts sont utilisés à Glenturret, le butt de 500 litres et le hogshead de 250 litres.
Le groupe Edrington produit cinq single malt (Glenturret, Mac Allan, Highland Park, Tamdhu, Glenrothes) et un whisky de grain qui entrent tous dans la composition du blend Famous Grouse. Ce blend représente 80% de la production, les 15% restants sont vendus sur place, ce qui laisse peu de place à la distribution. Le mariage des blends est fait à Glasgow, comme par exemple Le « Naked Grouse », excellent whisky doux et crémeux que nous avons eu le plaisir de savourer sur place. Pilotés par Rory, nous avons également dégusté le Glenturret single malt de 10 ans d’âge, un malt agréable aux notes de miel affirmées mais sans grande complexité.
Pour finir, une black grouse au nez tourbé et fumé avec la douceur du rhum ;
Il est ensuite tourbé et épicé au palais avec une touche de caramel ;
Une longue note subtilement tourbée s’attarde en bouche. Notre hôte nous confie que des mariages et réceptions sont organisés sur place à la demande.
J’allais oublier une curiosité de taille, cette distillerie abrite la plus grande bouteille de whisky au monde : d’une capacité totale de 228L, elle n’est remplie « que » de 200L de Blended Famous Grouse. Façonné à la main en République Tchèque, ce flacon mesure 1,67m de hauteur et l’on peut trinquer simultanément avec 9120 personnes à raison d’un dram par tête de pipe. En août 2012, Glenturret a raflé ce nouveau record détenu précédemment par Jack Daniels et sa bouteille de 184L de whisky.
Après un dernier regard aux superbes pagodes coiffant les toits de cette distillerie agréable à visiter et très instructive de par son processus complètement manuel, nous prenons la route de l’Ouest en direction d’Oban.